Mardi 15 janvier 2019
Aujourd’hui, l’organisation et l’efficacité sont de mises : nous sommes décidé(e)s à rentabiliser notre temps, et à récolter le plus d’informations possibles. Il est l’heure de décider qui de nous 10 aura la tâche fastidieuse mais essentielle de se rendre à la mairie, nous choisissons les heureuses élues autour du petit-déjeuner. Pour des questions pratiques de connaissances linguistiques (bien qu’elles ne soient pas dignes des longues heures passées à l’étudier), c’est Eloïse et Elsa qui s’y attèlent, tandis que le reste du groupe se dirige vers le Errekaleor. Avant de partir, elles réfléchissent à un plan d’attaque : vaut-il mieux être directes et demander à rencontrer quelqu’un(e) qui saura nous renseigner sur Errekaleor ou, au contraire, utiliser un axe officiel, universitaire pour parvenir à aborder cette question sensible ? Malgré leur niveau d’espagnol limité, elles choisissent la stratégie de l’approche indirecte, par crainte d’utiliser leur seule chance de rencontrer une personne qualifiée. Après avoir préparé quelques phrases et questions pour être certaines de se faire comprendre, elles se rendent au centre de Vitoria, dans un premier bâtiment indiqué comme étant la mairie : premier échec, il semble que ce qu’elles recherchent ne se situent pas ici.
Après plusieurs allers-retours entre divers pôles de la mairie, essayant de comprendre qui sauraient leur donner les précieuses informations sur la relation entre la mairie et le quartier, Eloïse et Elsa traversent la ville pour se rendre dans une structure affiliée à l’urbanisme, au génie civile de la ville. Se présentant comme des étudiant(e)s en urbanisme (c’est presque vrai, non ?), elles rencontrent plusieurs secrétaires qui tentent toutes de les aider. La dernière, qui semble foncièrement vouloir les aider, finit par leur donner des informations statistiques sur la ville de Vitoria Gasteiz ; elle avoue enfin que le sujet que nous étudions est trop vaste, et que nous devrions revenir avec des questions plus précises. Un peu déçues d’avoir parcouru l’équivalent d’un semi marathon pour n’obtenir que très peu d’informations, elles passent faire les courses pour Errekaleor.
Pendant ce temps, le reste du groupe a rejoint dès 9h30 le quartier d’Errekaleor pour aider à la construction d’un four à pain collectif, nouveau projet du quartier. Le rapport au temps nous apparaît comme très particulier, puisque malgré l’horaire fixé la veille, les habitant(e)s arrivent progressivement pour mettre la main à la pâte. C’est avec plaisir que nous aidons à la création du ciment, au transport et taillage de brique, et à la construction même du four. Les rôles changent, chacun(e) s’essaye à différentes tâches, et certain(e)s se découvrent un goût pour les travaux manuels. C’est un moment fort de partage, de communication, moment que l’on sait inoubliable.
Eloïse et Elsa arrivent alors, les bras chargés de nourriture, et plusieurs équipes se forment ; l’une continue (ou entame) le travail du four à pain, l’autre prépare le repas commun. Ce repas est capital, nous savons pertinemment qu’il sera l’occasion de précieuses discussions.
Pendant ce temps, Nalha et Diane sont invitées par un habitant Uruguayen à prendre une boisson chaude dans son appartement. Ce moment partagé est accompagné d’une discussion profonde sur la vie à Errekaleor, surtout en tant qu’habitant non-basque. Il explique avoir fréquenté plusieurs squats au cours de sa vie, et rappelle que vivre à Errekaleor n’est pas toujours chose facile. Il se plaint notamment de tensions idéologiques très marquées. Il évoque également l’accessibilité aux AG (Assemblées Générales) réservée à ceux qui parlent le basque, tandis que, pour lui, il est difficile, en raison de son âge, d’apprendre une langue aussi compliquée que le basque. Pour lui, la jeunesse des habitant(e)s du quartier est également un problème, car elle crée une virulence des rapports entre les habitant(e)s : les jeunes n’ont pas le vécu et l’expérience permettant de prendre du recul sur la situation. Aussi, il trouve que l’organisation de l’admission à la vie du quartier est trop compliquée, car la procédure est trop longue, et laisse une place au piston.
D’autres discussions avec d’autres habitant(e)s nous ont, par la suite, permis de nuancer ces propos : l’objectif d’Errekaleor n’est pas de grandir en nombre, mais de faire fonctionner et propager un mode de vie, de promouvoir une expérience continue et évolutive. Les habitant(e)s du quartier sont venu(e)s surtout par choix politique : l’adhésion au quartier est difficile car les loyers sont peu accessibles en ville en raison de l’important prix du foncier ; les membres d’Errekaleor souhaitent que les nouveaux(lles) résident(e)s ne viennent pas uniquement par nécessité économique. L’hôte évoque enfin un quotidien qui se vit dans la peur du lendemain, qui empêche de construire réellement, de prendre des initiatives, et freine la solidarité : « L’importance n’est pas que ça perdure mais que ça ait existé. ».
Nous nous regroupons finalement tou(te)s autour de la grande table disposée à l’extérieur, profitant du soleil, pour déjeuner. Nous en profitons pour expliquer notre projet qui ne paraissait pas très clair pour tou(te)s les habitant(e)s, probablement en raison de notre difficulté à nous exprimer en espagnol (nous aurions vraiment mieux fait d’écouter au lycée !). La présence de Mahats et S., tou(te)s les deux francophones, nous aide à nous faire comprendre. C’est la première fois que nous sommes tou(te)s réuni(e)s, mélangé(e)s les uns aux autres : le repas dure plusieurs heures, et porte une symbolique forte pour chacun(e) d’entre nous. Nous ressentons une évolution dans leur perception de notre groupe et de notre travail, nous conférant moins une position de chercheur(se)s que de participant(e)s et soutiens au quartier.
Ce moment nous permet de comprendre que c’est ainsi, par des discussions avec eux/ elles sans directions ni objectifs, sans questionnaires, en suivant nos intuitions et en écoutant ce que les habitant(e)s avaient à nous dire, que nous pouvons comprendre ce qu’est la vie en autogestion et surtout la vie à Errekaleor. Comme l’a évoqué une étudiante habitant dans le quartier : « l’autogestion c’est une chose à vivre et pas à théoriser ».
Après ce repas chaleureux et riche en expérience, nous reprenons nos activités manuelles ; certaines en profitent pour se balader, prendre des photos. A la fin de la journée, nous saluons les habitant(e)s, avec le sentiment que notre place ici a changé, que leur vision de nous est différente, et plus conforme à ce que nous espérions.
Nous rentrons au centre-ville et passons plusieurs heures à faire le compte-rendu de cette journée remplie de chaleur. Nous avons tou(te)s vécu des moments très différents, et attachons une importance à les partager au groupe. Eloïse retranscrit à l’écrit ces moments, pour en garder un souvenir, et car ils sauront être très utiles pour la compréhension du sujet.