
HISTORIQUE DU QUARTIER
La cité ouvrière d’ Errekaleor a été bâtie à partir de 1959, pour suivre l’industrialisation de Vitoria-Gasteiz insufflée par le régime franquiste. Dans l’Espagne de Franco, l'aménagement du territoire et la localisation des industries furent pensés pour casser les entités culturelles et linguistiques. Vitoria-Gasteiz, en tant que ville mixte où l’identité basque est moins présente qu’à Bilbao ou Saint-Sébastien, a bénéficié de cette politique d’industrialisation exogène et la construction d’ Errekaleor fut ordonnée par le Plan General de Ordenación Urbana de 1956 pour loger les travailleurs migrants, de l’intérieur.
En parallèle, la lutte anti-franquiste puis indépendantiste basque s’intensifia avec la naissance d’ Euskadi ta Askatasuna (E.T.A) en 1959, émanation armée des revendications indépendantistes et basques criminalisées par l’Etat espagnol. Soutien des républicains, la province a subi une répression féroce dont le paroxysme aura été le bombardement par l’aviation nazie de la petite ville de Guernica (Biscaye), rendu célèbre par la tableau éponyme de Pablo Picasso.
L’histoire des mouvements indépendantistes basques est intimement liée au régime franquiste, qui tout au long de son existence réprima les mouvements sociaux, et mena une politique d’assimilation forcée dans les provinces basques où l’euskara était interdit.
La mort de Francisco Franco en 1975 n’a pas mis fin aux politiques répressives ; ainsi, un an plus tard, Vitoria-Gasteiz fut le théâtre d’un sanglant affrontement entre la police et des travailleurs en grève au cours duquel cinq d’entre-eux tombèrent sous les balles des policiers. Cet événement lança véritablement la transition démocratique en Espagne.
Cette répression systémique et l’héritage des luttes ouvrières passées contribuèrent à l’éclosion de nombreux mouvements, qui occupent le devant de la scène politique régionale comme le tout puissant Euzko Alderdi Jeltzalea (Parti nationaliste basque) avec 27 sièges au parlement basque suivi par Euskal Herria Bildu (coalition indépendantiste de gauche) avec 18 sièges. Mais l’indépendantisme basque a également enfanté de groupes d'extrême-gauche ou issus de l’autonomie, qui ont mené en parallèle de la lutte armée d’E.T.A des affrontements avec la police dans les années 90, période dénommée kale borroka (lutte de rue).
Les occupants d’ Errekaleor sont en majorité issus des mouvements d’extrême-gauche et bénéficient d’un contexte favorable dans l’Espagne post crise financière de 2008, qui a été marquée par l’éclatement de la bulle immobilière.

Centre social d’Errekaleor en 1965

Seconde vague de construction de bâtiments en 1965
Source : Ville de Vitoria-Gasteiz
http://www.vitoria-gasteiz.eus/errekaleor/
Historique d’Errekaleor
Le quartier d’Errekaleor est donc issu d’un contexte franquiste.
Bâti en 1959, il a d’abord hébergé des ouvrier(e)s et leurs familles, en raison de l’implantation à proximité de deux usines. La localisation du quartier, ainsi que les services mis à disposition de ses habitant(e)s ont rapidement conduit à une forme de marginalisation du lieu et des individus, subie par ces derniers, choisie par les pouvoirs publics. Les luttes des habitant(e)s leur ont finalement permis d’obtenir un certain nombre de services publics en plus, créant un esprit de communauté ouvrière dans le quartier. En 1976, les ouvrier(e)s ont été incité(e)s à quitter leur lieu de vie, en raison de la volonté des instances publiques de réhabiliter les logements pour en faire un quartier plutôt aisé. Cependant, le contexte de la bulle spéculative immobilière espagnole a mis à mal ces projets, se solvant par la faillite de l’entreprise, et donc l’abandon des travaux.
Vitoria Gasteiz se retrouvait donc avec un complexe de logements anciennement ouvriers abandonnés et vides aux abords de la ville. C’est en 2013 qu’un groupe de quatre étudiant(e)s ont décidé d’occuper le lieu, en raison de la crise immobilière répandue partout dans l’Etat espagnol, qui entraîne une élévation des prix du foncier. Cette occupation, qui s’inscrit dans une forte culture squat de la région basque, s’est confrontée à l’opposition de la mairie, qui n’a pas hésité à envoyer les forces de l’ordre pour déloger les occupant(e)s. Finalement, l’électricité du quartier a été coupée. Toujours sous le jougs d’arguments sécuritaires et sanitaires, les nouveaux(elles) habitant(e)s d’Errekaleor ont été menacé d’expulsion, jusqu’à la demande par la mairie de déplacement du lieu d’occupation. L’attachement au lieu, porteur d’une histoire particulière, et le désir d’habiter et de contester à pousser les habitant(e)s à résister, au moyen de nombreuses manifestations ; encore aujourd’hui, six ans plus tard, le quartier est occupé et habité. Le quartier et le projet sont désormais soutenus par une partie de la population ; des architectes ont produit un document d’expertise attestant de la salubrité du lieu, pour substituer l’argument à la mairie ; des célébrités basques et espagnoles ont signé une tribune pour apporter leur soutien au quartier. Espace ancré dans son territoire, Errekaleor a su se maintenir jusqu’à aujourd’hui, pour garantir un projet de vie à ses habitant(e)s.
Historique de la relation Pays-Basque/ Etat espagnol
Errekaleor s'inscrit dans un contexte de contestation plus large des expulsions, de la pauvreté, de l’austérité budgétaire de l’Etat organisant son impuissance et des dérives de la finance à l'origine de la crise du logement qui a particulièrement touché l’Espagne après la crise de 2008. Le projet du quartier va de pair avec les nombreux mouvements protestataires espagnols, comme les Indignés en Mai 2011; C’est donc une contestation de l’Etat ; au mieux pour son impuissance, au pire en tant que complice de la finance. Cette contestation s’avère être particulièrement virulente dans une Espagne historiquement décentralisée et dans laquelle l’austérité budgétaire de l’Union Européenne induit une recentralisation très mal acceptée ; on peut voir de plus en plus de barons locaux s’opposer aux leaders nationaux de leur parti par exemple.
Errekaleor est donc la cristallisation très localisée de cette contestation autour d’un projet typique de la spéculation immobilière, favorisée par deux facteurs.
On a d’abord un contexte institutionnel local tout à fait particulier. En effet, le Pays-Basques espagnol constitue la plus autonome des 17 communautés autonomes de l’Espagne, Etat fédéraliste mais de façon asymétrique, puisque les communautés n’ont pas les mêmes compétences. Le Pays-Basque est la seule communauté à disposer de la compétence fiscale, et fait des envieux en Catalogne notamment. Ensuite, le Pays-Basque est divisé en quatre régions. La capitale, Vitoria-Gasteiz, se trouve dans celle d’Alava, paradoxalement la région où l’identité basque est la moins revendiquée (à Bilbao par exemple les indications sont en basque et castillan alors qu’à Vitoria-Gasteiz le castillan suffit). On peut également noter la périphérie économique de la capitale basque, puisque nous avons dû atterrir à Bilbao, la capitale de la région voisine (Biscaye), après un changement à Barcelone. Ce n’est donc que la capitale administrative, hébergeant le parlement basque. Enfin, à Errekaleor, l’identité basque constitue un marqueur fort (Assemblée Générale en basque, cours de basque) : on peut alors facilement imaginer que cet aspect ne serait pas pour déplaire à un Parlement basque qui trouverait la région d’Alava et sa capitale pas assez basque de façon générale, mais surtout pas assez basque pour y localiser le parlement. La capitale est donc symboliquement située à Vitoria, afin de représenter les basques face à l’Etat central, d’autant plus dans un contexte de recentralisation forcée.
Aussi, on observe une perte relative de « légitimité/puissance d’action » pour l'Etat à l’heure de la gouvernance et du réseau (FMI, Troïka, …)
Après la crise financière poussant l’Union Européenne à imposer l’austérité budgétaire, l’Etat espagnol modifie la constitution de 1978 pour pouvoir demander la rigueur budgétaire aux communautés, entre autres mesures très mal vécues, entraînant une augmentation des conflits entre l’Etat et les communautés en justice. Ces tensions entre l’Etat et le Pays-Basque ravivent les conflits historiques entre le Pays-Basques et Alava-Vitoria-Gasteiz. Dans ce contexte, le Parlement peut trouver pratique de pouvoir reprocher à Vitoria-Gasteiz ce quartier "rebelle", cristallisant lui-même un contexte général de contestation de l’Etat. La crise du logement et le contexte de contestation générale de 2011 trouvent quant à eux leurs origines dans la crise financière, et sont amplifiés par les réactions induites par celles-ci (austérité et recentralisation).