
ERREKALEOR, UNE EXPERIENCE DE L'AUTOGESTION
Notre semaine de terrain nous a permis de soulever des enjeux liés à l’existence d’un tel quartier et à son fonctionnement. Ces enjeux se concentrent autour de trois grands axes, qui sont ceux de l’autonomie vis-à-vis de la ville, du développement du projet, et des valeurs portées. Nous présenterons donc les données et analyses issues de réflexions, discussions et observations, en répondant à la question suivante :
Dans quelle mesure l’autonomisation du quartier d’Errekaleor vis-à-vis de la ville de Vitoria-Gasteiz permet-elle son intégration dans un système indépendant des institutions et donc dans des réseaux parallèles ?
Il convient de rappeler que ce qui a pu être tiré de l’enquête de terrain ne permet pas d’objectiver ce qui se conçoit comme une expérience, celle de l’autogestion. Les faits rapportés et analyses construites s’articulent autour de l’observation d’un moment de vie particulier ; Errekaleor, se construisant et reconstruisant au fur et à mesure des personnes qui la constituent, des nouveaux besoins, nouvelles envies, personnalités et capacités, n’est pas une ressource de laquelle nous cherchons à émettre des théories. Il s’agit ici de partager un vécu, un moment, de peindre ce que nous avons pu comprendre de notre séjour, de donner à voir ce que nous avons expérimenté.
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Un horizon politique de valeurs
La question de la langue
La « basquité », selon Roland Barthes (sémiologue français), s’exprime notamment par le biais du sport, de la gastronomie, la musique, la littérature, l’engagement politique et la langue. Même si la connaissance ou la méconnaissance de la langue n’est pas le seul paramètre pour définir l’identité basque, elle se place au cœur de la question identitaire. Une étude de Jérôme Tourbeaux et Béatrice Valdes montre par exemple que les individus définissent principalement la culture basque par la langue. « Être basque » en basque c’est euskaldun qui signifie littéralement « celui qui possède la langue basque ». A Errekaleor, savoir parler la langue semble avoir une incidence sur la construction identitaire de la communauté, en favorisant le sentiment d’appartenance. Le quartier s’articule autour de 3 piliers : l’anticapitalisme, le féminisme et la valorisation/revitalisation de la culture et de la langue basque. L’Euskara est la langue « officielle » du quartier et les habitant(e)s qui ne le parlent sont invité(e)s à l’apprendre dans le cadre des cours donnés au centre social. Les informations diffusées (journal hebdomadaire, emplois du temps) sont rédigées en basque. Partout dans les lieux communs (cuisine, douche), on trouve des panneaux sur lesquels sont écrits des mots catalans traduits en basque (les fruits et légumes par exemple, ou encore les ustensiles), afin de mettre au centre de la vie quotidienne ce qui constitue leur basquité. Leur but est de promouvoir l’usage de la langue basque à l’échelle du quartier. C’est une façon de se revendiquer comme communauté et de s’émanciper : la langue est souvent un facteur d’émancipation, comme on a pu le voir en Catalogne ou en Belgique. D’après Miguel (50 ans, habitant du quartier venu de l’Uruguay et qui ne parle pas Basque) le sentiment d’appartenance au quartier est plus prononcé chez les bascophones que chez les non-bascophones, il trouve que la langue est un bornage symbolique qui sépare les deux catégories des habitant(e)s et peut créer quelques conflits qu’il qualifie de « futiles ». La langue participe à la formation du réseau social, par la communication et le partage d’une identité et de valeurs. Elle peut cependant faire du réseau un phénomène excluant.
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Anticapitalisme, féminisme
En plus de la promotion de la langue basque, le quartier s’organise autour de deux autres piliers fondamentaux, qui sont celui de l’anticapitalisme et du féminisme. Ces valeurs sont notamment exprimées à travers les différents graffitis sur les murs du quartier, qui représentent souvent l’anticapitalisme, l’anti-autoritarisme, l’anti-consumérisme… L’anticapitalisme se retrouve dans le fonctionnement même du quartier, qui s’organise autour d’un partage des ressources, de la récupération, et de l’anti-consumérisme (consistant à ne pas entrer dans une boucle de création de besoins inutiles). L’idée est également de ne pas imposer de rapports de domination entre les individus, ni de rapport hiérarchiques (en fonction de leur catégorie sociale d’origine, couleur de peau, sexe, sexualité, genre…), et de ne pas imposer de spécialisation productive des individus. Ceci passe par une répartition des tâches et une rotation des rôles entre les habitant(e)s, à la fois au sein des organes de décision, mais également dans la maintenance du quartier.
Le féminisme, quant à lui, est une valeur primordiale dans l’organisation du quartier. Il est dit intersectionnel, c’est-à-dire qu’il croise l’antihomophobie, l’anti-transphobie, l’antiracisme… Des évènements féministes sont régulièrement organisés, afin de promouvoir le féminisme (exposition d’art, conférence, soirées, …). Un des habitants nous a expliqué qu’une entrave au féminisme, une agression sexiste peut être motif d’expulsion du quartier, comme cela a été le cas quelques années auparavant. Aussi, les activités ne sont pas réparties en fonction du sexe des individus, mais selon leur volonté d’y participer. Lors des assemblées générales et autres moments d’expression publique, les habitant(e)s essayent de répartir de manière égale la parole entre homme et femme. Le féminisme est, à Errekaleor, un élément central dans l’organisation.
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Un quartier autogéré : vers une autonomie vis-à-vis de la ville ?
Une rupture (partielle) avec les institutions
La première rupture entre la ville de Vitoria et Errekaleor est une rupture physique : le quartier, localisé en dehors des réseaux de la ville, a longtemps été considéré par ses habitant(e)s comme une périphérie subie. Cet éloignement physique des institutions avait alors forcé le quartier à développer en son sein ses services propres. L’arrêt des travaux planifiés dès 1976 a fait du quartier un espace abandonné, forçant les habitant(e)s à s’autonomiser vis-à-vis de l’institution et de la ville. Ce n’est qu’en 2013 que le quartier voit se développer une contestation des institutions, et une volonté de s’en détacher en vue d’une autogestion, au moyen de l’occupation du quartier par des étudiant(e)s de l’université de Vitoria Gasteiz.
Comprenant ceci, la mairie a tenté de déplacer le quartier, le rapprochant du centre-ville, afin de conserver une mainmise sur la situation et son territoire, et ainsi éviter d’éventuels « débordements ». Cette manœuvre a été refusée, en raison de l’ancrage territoriale des occupant(e)s et de leur volonté de se détacher de l’institution, d’agir selon leurs propres désirs et besoins. Aussi, ce lieu est porteur d’une histoire de contestations et politique forte, qui n’aurait pu être abandonnée par les occupant(e)s. Ce désaccord a entraîné des interventions des forces de l’ordre et de la mairie qui a coupé l’électricité, tentant ainsi de repousser les occupant(e)s par la force. Le quartier s’est alors émancipé des réseaux techniques de la ville en installant des panneaux solaires.
La ville, quant à elle, a tenté d’éloigner le quartier des réseaux techniques en supprimant de la ligne de bus l’arrêt du quartier. C’est ce qui a permis aux habitants de s’approprier les outils d’aménagement et d’organisation du territoire, même s’ils dépendent toujours de certains services de la ville (ils vont faire leur course là-bas par exemple), libres d’agir comme ils le souhaitent sur cette partie du territoire que l’on peut considérer comme une zone de non-droit politique. La mairie considère qu’elle n’a plus aucun pouvoir sur ce qui se passe et semble avoir baissé les bras, et laisse libre-court à la situation, menant d’après certain(e)s habitant(e)s de la ville à une situation complexe pour le maire vis-à-vis de la région.
Cette liberté d’agir gagnée permet aux habitant(e)s d’Errekaleor de décider de la manière dont ils et elles s’auto-gouvernent, en tentant d’arriver à une situation plus horizontale et plus juste, dans le sens où chacun peut trouver sa place au sein de la politique du quartier à travers un fonctionnement en commissions et assemblée générales. Ainsi, tout est construit et organisé dans le commun, tout relève de la solidarité qui correspond bel et bien au projet alternatif que prône le quartier.
La tendance solidaire : le partage comme principe politique d’action
Les notions de partage et de solidarité sont deux éléments fondamentaux dans la compréhension des motivations et systèmes d’organisation d’Errekaleor.
En effet, le partage est perçu comme un outil idéologique et politique sur lequel repose l’esprit du quartier. La notion de partage entre en cohésion avec les idéaux politiques majoritaires à Errekaleor, de communisme, d’anarchisme, de libertarisme… La mise en avant du partage comme mode d’action et comportement est liée à une volonté de rupture avec les systèmes de propriété privée, de profit, caractérisant les systèmes contre lesquels les habitant(e)s tentent de s’ériger. A Errekaleor, aucune action n’est réalisée pour son propre bénéfice ou son profit, mais doit faire bénéficier la communauté, ou, tout du moins, n’avoir aucun impact négatif sur elle ou sur les autres habitant(e)s. Le fait de vivre sur un même lieu pousse les habitant(e)s à rechercher un vivre-ensemble agréable, qui nécessite une forte cohésion de groupe. Le partage est présent dans tous les moments de vie du quartier, et permet son fonctionnement sous le modèle de la communauté.
Cette notion de partage se manifeste à travers l’agencement et le fonctionnement du lieu.
Sur le plan fonctionnel, on a un partage des lieux communs, tels qu’une cuisine (bien que chaque appartement en soit équipée d’une), un four à pain collectif, des douches… Aussi, les appartements sont partagés, puisque chacun(e) vit avec entre une et trois autres personnes. Il y a également un partage des tâches : chacun(e) participe à la vie du quartier, sur la base de la volonté individuelle, en fonction des disponibilités et envies ; pour autant, le partage des tâches et donc la participation sont requis pour permettre à la communauté de se maintenir. Le partage des tâches se retrouve aussi bien dans des activités de maintenance du quartier (le ménage des lieux communs, la construction du four à pain, le jardinage…) que dans la prise de décision, qui se fait de manière collective par le biais d’assemblées générales et de commission. Chacun(e) dispose d’un rôle interchangeable mais nécessaire à la cohésion de groupe. Chaque espace étant commun, les habitant(e)s cherchent à mettre en œuvre une rupture avec l’individualisme capitaliste.
Sur le plan de l’agencement, l’espace public est le moyen de mettre à bien cet idéal de communauté fondée sur la solidarité et le partage. On a une réelle réappropriation des lieux, en tant que chacun(e) peut utiliser et occuper l’espace comme les autres. L’espace public n’est pas un lieu particulier mais peut être tout aussi investi et habité que les espaces privés. On a une mise à mal de l’individualisme qui fait vivre chez soi, dans un espace clos. Même l’espace clos et individuel de l’appartement est transformé en espace de vie commune, comme une extension de l’espace principal que constitue l’espace communautaire public.
Errekaleor est, en somme, un espace vécu. Finalement, on a une modification de l’habiter qui consiste en une réappropriation des lieux. Les habitant(e)s utilisent un support physique purement produit du capitalisme qu’est un quartier ouvrier, pour en faire un lieu de réseaux de solidarité et de partage. Le partage accentue énormément la force des réseaux sociaux et de solidarité. Le rapport à la communauté, à Errekaleor, est totalement différent : la communauté est vue non pas comme un ensemble de réseaux extérieurs duquel on peut se détacher pour retourner au confort individuel, mais comme une part intégrante de la vie des individualités.
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Un quartier autosuffisant ?
En lien avec leur projet autonomiste, les habitant(e)s du quartier cherchent à atteindre une autosuffisance. Celle-ci serait le moyen de concrétiser l’indépendance vis-à-vis des réseaux conventionnels et institutionnels, notamment par le biais des ressources, mais également en permettant une émancipation vis -à-vis des modèles d’organisation imposés. Concrètement, cette autosuffisance est mise en œuvre par un abandon de certains réseaux dits conventionnels, comme le raccord au réseau électrique de la ville, les lignes de bus, l’utilisation de la grande distribution comme moyen d’approvisionnement…
La question des ressources est fondamentale dans le désir d’autosuffisance : il est recherché une certaine indépendance vis-à-vis de l’institution, une liberté vis-à-vis de toute dépendance énergétique qui soit allouée par une organisation étatique ou commerciale. Cette autosuffisance des ressources est symboliquement et matériellement marquée par la coupure d’électricité de la municipalité en 2015. Par ailleurs, l’autosuffisance marque le refus de la gouvernance urbaine : cela passe par la création d’un fonctionnement qui tend à une autonomie la plus complète possible des réseaux institutionnels locaux.
Pour garantir l’autosuffisance, il est nécessaire de mettre en place de nouveaux réseaux, des moyens alternatifs de subvenir aux besoins du quartier. C’est dans cette optique qu’ont été mis en place des panneaux solaires, financés par des dons, mais également un potager collectif, où les habitant(e)s de la ville viennent conjointement cultiver avec les habitant(e)s d’Errekaleor, même si on a pu remarquer un coin plutôt réservé aux un(e)s et aux autres. La périphérie qu’est Errekaleor permet une disposition de foncier pour cela.
L’autonomie est donc loin d’être complète : il est dans l’absolu impossible d’être dans une autosuffisance totale. En revanche, il est possible d’opter pour un modèle qui tend à une indépendance des réseaux conventionnels et au choix de création d’une subsistance organisée selon des réseaux alternatifs. La recherche d’autosuffisance n'induit donc pas l’absence de réseau ou de soutien de la part d’autrui, mais la création de nouveaux réseaux plus personnels, plus localisés, issus de savoirs vernaculaires, plus éthiques : ce sont donc des réseaux et méthodes en lien avec les idéaux anticapitalistes des habitant(e)s. Pourtant, cette implication est inégale en fonction de ces habitant(e)s, car tou(te)s n’ont pas les mêmes motivations, mêmes s’ils/elles partagent les mêmes convictions politiques.
La question de l’autosuffisance touche à l’énergie mais s’étend également à l’ensemble de la vie quotidienne. En effet, la majorité des habitant(e)s de ce quartier situé en zone périphérique travaillent dans la ville ; le schéma d’autogestion autonome est donc à nuancer. Aussi, certains éléments peuvent difficilement être remplacés, voire nécessaires dans la mesure où l’on réside dans un contexte urbain : le pétrole pour utiliser la voiture, l’eau courante, l’utilisation de l’argent, et une part de la nourriture (le jardin étant insuffisant) sont tout autant d’éléments qui maintiennent un lien entre ce quartier qui tente de s’extraire des réseaux institutionnels, et la ville productrice et matérialisation de ces réseaux.
C’est la première et principale critique qui est posée de manière inéluctable dans le débat de l’autogestion : il semble impossible de se substituer totalement de l’institution et des ressources qu’elle propose. De même que le quartier n’ait pas pour vocation de durer sur le long terme, le fonctionnement n’est que partiellement autonome vis-à-vis du système dans lequel il est inclus, autant sur le plan de la gouvernance urbaine que sur les systèmes alimentaires et économiques, avec l’emploi. Errekaleor est donc un exemple d’une tentative, d’une construction éphémère et partielle, en perpétuelle évolution.
L’autogestion se construit à mesure de sa mise en pratique, de même que l’autosuffisance est une construction sur le long terme, pour peu qu’elle soit un principe vers lequel tendre : petit à petit, les individus apprennent à vivre ensemble, à ajuster leurs représentations et leur place en société, pour ainsi recréer de nouvelles mises en réseaux, de nouveaux moyens de subsistances, plus locaux, personnels, éthiques : c’est le but réel de l’autogestion, de se réapproprier son mode de vie et de construire des sociétés gérées par les individus eux-mêmes, directement et de manière horizontale.
Même si le détachement aux réseaux conventionnels et l’implication reste variable selon la volonté politique des personnes, la situation urbaine d’Errekaleor de choisir le degré d’implication, mais oblige aussi une restriction dans l’indépendance vis-à-vis des réseaux urbains. Ceci pose la question de la dépendance aux réseaux institutionnels (politiques et commerciaux) qui semble être plus forte en ville.
L’autonomie et l’autogestion sont des modèles à élaborer par la mise en pratique. Il y a donc un enjeu de transmission, pour permettre le développement du modèle, ouverture et soutien de nouvelles communautés, liées en réseau
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Objectif politique : le développement du modèle
La diffusion d’un modèle : Errekaleor comme matérialisation d’une solution politique
Le projet d’Errekaleor est avant tout une expérimentation, qui s’est pérennisée au fil des années mais qui reste toujours instable de par son statut illégal.
Les habitant(e)s du quartier et notamment les personnes les plus impliquées en son sein nous ont exprimé quasi unanimement qu’une des raisons d’existence majeures du quartier était de créer une sorte de modèle pour d’autres personnes voulant mettre en œuvre un projet autogestionnaire. Par modèle, ils et elles n’entendent pas un concept normé et rigide mais au contraire une porte d’entrée vers l’autogestion, un modèle que l’on peut adapter aux réalités et aux bases idéologiques de différents terrains et groupes. Le plus important est de démontrer qu’il existe des alternatives au mode de vie qui nous est proposé au sein d’une société capitaliste et globalisée, que l’on peut tenter de se détacher des institutions nationales et supranationales pour créer des modes d’habiter adaptés aux spécificités d’un espace et aux besoins des personnes.
Pour se détourner du réseau principal de coordination de l’action et d’aménagement du territoire que sont les institutions officielles, les membres d’Errekaleor créent un réseau parallèle, en maintenant des contacts avec d’autres squats et en participant à des manifestations pour donner de la visibilité à leur projet. Ce maillage territorial se traduit par exemple par leur lien avec le Gaztetxe Maravillas, centre social de Vitoria Gasteiz situé à l’épicentre de la ville et occupé et autogéré ; ils et elles s’intéressent aux modes de gestion des autres squats et à leur réponse face à des situations spécifiques. Par exemple, l’un des habitant nous a parlé de leur volonté d’apprendre à accueillir des réfugié(e)s et à les inclure dans la vie du quartier, avec la question de la barrière de la langue ; pour cela, certains membres du quartier se sont rendus dans un squat près de Dijon, en France, qui accueille un nombre important de réfugié(e)s.
Ils et elles ne cherchent pas à s’effacer malgré leur situation précaire due à l’occupation illégale mais au contraire à promouvoir ce mode de vie en occupant l’espace public. Ces opérations sont efficaces, nous avons été étonné(e)s lors de nos entretiens avec des habitant(e)s de Vitoria de constater combien de personnes s’étaient déjà rendues sur place, soit lors des manifestations de soutien au quartier, soit car elles ont des connaissances qui vivent à Errekaleor.
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Convaincre localement : la conquête de la ville
Au cours de notre voyage, nous avons pu constater que les moyens mis en œuvre pour la communication étaient particulièrement développés.
Le quartier est notamment doté d’une imprimerie et d’un atelier de sérigraphie, qui permettent de produire des tracts, des affiches, des autocollants, et des vêtements. Les membres du quartier sont très actifs sur les réseaux sociaux, qui permettent de donner beaucoup d’information, de créer des évènements, et surtout d’avoir une grande visibilité. Cet ensemble permet une occupation importante de l’espace visuel, qu’il soit virtuel ou physique de telle sorte qu’à Vitoria, comme on a pu le voir, la quasi-totalité des personnes que l’on a pu interroger sur le sujet étaient au courant de l’existence du quartier.
Et dans ce sens, grâce à cette présence et à cette appropriation de l’espace, Errekaleor bénéficie d’un fort soutien de la part des habitant(e)s de la ville. Nombreuses sont les affiches et banderoles dans les rues, mais aussi les manifestations de soutiens et les actions de dons en faveur du quartier.
Ce soutien est source de subsistance pour le quartier. Dernièrement, une grande campagne de crowdfunding a permis la mise en place de panneaux solaires, permettant au quartier de subvenir à ses propres besoins énergétiques. Même les politiques suivent le mouvement, récemment c’est le maire de Vitoria-Gasteiz qui a couru aux côtés des habitant(e)s pour afficher lui aussi son soutien aux espaces autogérés du Pays-Basque.
Ainsi, on voit que cette communication efficace permet d’avoir un soutien à la fois sur scène locale et internationale, offrant une légitimité à la présence d’Errekaleor et une pérennité, qui restent malgré tout contestées par certain(e)s. Si cette communication est si poussée, ce n’est pas par vanité mais bien parce que les habitant(e)s du quartier ont compris que les enjeux qui concernent l’avenir du squat résident dans le réseau de soutien de l’opinion publique et des politiques, sans quoi la lutte serait bien plus féroce voire impossible.
Les réseaux de l’autogestion
Les occupant(e)s d’Errekaleor ne sont pas seul(e)s dans la lutte pour l’autogestion politique, et sont ainsi en lien avec d’autres lieux et groupes idéologiquement proches. En effet, des militant(e)s européen(ne)s se rendent régulièrement à Vitoria-Gasteiz pour construire un réseau politique, l’idée d’une internationale des lieux autogérés semble émerger. Des militant(e)s du quartier autogéré des Lentillères (Dijon, Côte-d’Or) sont en lien avec celles et ceux d’ Errekaleor qui, de leur côté, se sont rendu(e)s sur des ZAD (Notre-Dame-des-Landes, Loire-Atlantique ou celle du Testet à Lisle-Sur-Tarn,Tarn). Mais cela ne concerne pas uniquement les liens entre initiatives de part et d’autre des Pyrénées, mais aussi dans l’Europe entière, ainsi ils/elles ont pris position pour la défense du centre sociale Askatasuna de Turin (Italie) menacé d’expulsion.
De même, les militant(e)s d’ Errekaleor entretiennent des liens étroits avec les autres lieux autogérés du Pays-Basque comme les gaztetxe (centres sociaux, présents dans de nombreuses villes et parfois autogérés). Ainsi, au moment de l’expulsion du gaztetxe Maravillas de Iruña (Pampelune, communauté forale de Navarre) les militant(e)s d’ Errekaleor ont été à l’origine de nombreuses actions et manifestations.
En tant que basques, peuple opprimé par quarante-quatre ans de dictature fasciste et une démocratie balbutiante, les occupant(e)s s’inscrivent dans un projet politique internationaliste et affichent un soutien sans faille aux luttes indépendantistes en Catalogne (une fresque de Salvador Puig Antich a été réalisée sur un bâtiment d’ Errekaleor), au peuple kurde (avec l’organisation du Newroz, nouvel an kurde dernièrement et une fresque latérale célébrant des combattant(e)s du YPG/YPJ) ou encore avec les peuples indigènes du Mexique. Tous ces liens et soutiens constituent un véritable de réseau social de solidarité.
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CONCLUSION
Errekaleor est donc le reflet d’un jeu d’échelle et de réseaux. Le quartier voient des réseaux se faire et se défaire à toutes les échelles, avec des habitant(e)s dans des bâtiments séparés et différenciés (« la Maison des Hippies par exemple », reconnue comme étant le lieu de la drogue, de la fête et de la musique), au sein d’un quartier autonome à l’écart de la ville, dans une province avec une volonté autonomiste forte (le Pays Basque), au sein d’un Etat espagnol centralisateur. Pourtant, entre toutes ces strates, il y a de la communication, en termes d’entraide, de participation, de contestation, et il y a donc réseau, à la fois social bien sûr, mais aussi matériel, immatériel, technique…
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Errekaleor, c'est la remise en question du gestionnaire du territoire. C'est l'individu qui gouverne, en pensant à la communauté, mais en participant activement. C'est la remise en question des institutions établies du territoire, de la sectorisation de l'espace, des limites et des frontières, des domaines de compétences.
Errekaleor c'est « je vis ici, je décide et je participe », c'est la suppression de la délégation et de la représentation, et donc être pleinement intégré dans le réseau, en être acteur et non en subir les effets.
Errekaleor, c'est permettre à toutes les échelles de communiquer, de ne faire qu'un, c'est une communication entre les différents échelons scalaires du territoire, en supprimant les barrières bureaucratiques, physiques et institutionnelles.